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Carnet de bord de Michel (2012)

L’idée de réaliser une transat en tant qu’équipier m’est venue en 2010. Après diverses recherches sur internet, je me suis engagé suite à une annonce, sur « la bourse aux équipiers », à faire cette traversée. Le type de bateau, un OVNI 345, dériveur intégral n aluminium ; le sens de retour vers l’Europe à partir des Etats-Unis (Charleston, Caroline du Sud) ; le bon contact avec le propriétaire skipper, Fabrice, rencontré en décembre 2011 à Paris ; la présence à bord, de Rick, Canadien et second équipier, autant de paramètres qui ont emporté ma décision. Sans oublier les nombreux amis qui, à l’occasion de mes 60 balais, m’ont permis financièrement cette aventure.

 

 

01.04.12

Départ de Montpellier en train, l’après-midi, où proches et fiston m’accompagnent. Accueil à Paris, gare de Lyon, 195 minutes plus tard. Soirée très sympathique au « 53 bis » et après une courte nuit, trajet en voiture jusqu’à Denfert-Rochereau d’où je prends le R.E.R jusqu’à Roissy. Nous nous retrouvons, avec Fabrice, à l’embarquement.  Derniers SMS aux uns et aux autres et on s’envole pour les States.

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Gare de Montpellier où L-F m’a chaudement prié de m’attacher, en mer…

 

 

02.04.12

Arrivée à Wando City Boatyard à 18.30, aprés un voyage sans incident et plutôt agréable de Paris à Atlanta puis d’Atlanta à Charleston S.C. Je dis sans incident car les autorités américaines, passablement paranoïaques, auraient pu nous faire rater la correspondance, par excés d’attentes, de questions, de papiers, de tampons…

28° à Atlanta, 27 à Charleston et 30 à Wando. Un peu moite mais très agréable. Le lieu ajoute à l’impression que j’ai d’être en vacances ; végétation abondante, présence de l’eau et maisons en bois, peintes de différentes couleurs. Endroit sympathique. L’OVNI 345 « Carriacou » est à la place à laquelle Fabrice l’a laissé il y a huit mois, venant des Antilles , au milieu d’une cinquantaine d’autres bateaux, de tous types et tous gabarits, tous posés sur cales.

 

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Fab et Carriacou se retrouvent

 

 

Nous nous installons pour la nuit. La crainte des moustiques qui nous ont accueilli, est dissipée par une brise qui se lève et nous rend la nuit plutôt paisible malgré le décalage horaire de 6 plombes…SMS en France et je m’endors.  

 

03.04.12

Temps couvert avec un soleil timide de temps en temps ; entre 15 et 20 nœuds de vent qui faiblit l’après-midi.

La journée se déroule dans la préparation du bateau : voiles, réglages, mise en place des panneaux solaires et recharge en électricité, bien que les batteries soient encore dans un excellent état de fonctionnement.

Autour de nous, l’activité du personnel du site dure jusqu’à 17.00. Elle consiste à gérer les bateaux (sortie et mise à l’eau, carénage, elàpeinture…). Ca plairait beaucoup à Louis. A midi nous allons déjeuner au café du coin, qui nous prépare le dîner ; leur blueberry pie est un délice.

 

Le « café » du yard

 

Bonne douche chaude aux vestiaires du Boatyard ; une eau qui pue l’œuf pourri comme si elle sortait d’une source sulfureuse… faisons confiance à nos amis américains. Le dîner, un bœuf carotte avec purée de pommes de terre, est excellent.

Le vent est tombé ; la température aussi (18° environ) et pas de moustiques.

Echange de SMS avec la France ; j’apprends qu’il pleut à Montpellier, enfin !

 

04.04.12

Réveillés dans la nuit par un mini thunderstorm, suivi de pluie. Rien ne s’est envolé !... Redodo aussi sec jusqu’à 7.00.

Grand soleil ce matin et peu d’air. Nous prenons notre breakfast au café, envoyons SMS et messages vocaux.

De retour, la grue est en place et la remise à l’eau s’effectue. Carriacou est ravi de sentir de nouveau l’eau sur sa coque …

 

Carriacou dans son élément

 

 

Les employés du yard sont top ; le plus jeune d’entre eux me fait penser à Louis.

Une fois à quai, Fab monte en haut du mât pour vérifications et remplacements (antennes, ampoules…) et j’assure l’opération d’en bas. Puis c’est la vérif moteur.

Tutto va bene.  

Une dernière visite au yard ; le vent est un peu monté ; le soleil est toujours là. Appréciable.

 

Prêts à partir vers la Marina où Rick doit nous rejoindre, arrivant du Canada. Un peu plus de deux heures de navigation au moteur pour rejoindre la Marina de Charleston. Le cheminement est indiqué entre bornes rouges à gauche et vertes à droite. Sur les rives de ce bras de mer, certaines maisons sont reliées à l’eau par des passerelles en bois franchissant parties marécageuses et eau peu profonde, pour aboutir à des petites constructions, en bois également, faisant office de parcs à bateaux et d’accés à la mer. Très harmonieux.  

 

Pélicans, aigrettes, dauphins, sont autour de nous sur le trajet.

 

Deux incidents marquants : nous « touchons » à un endroit non suffisamment signalé et surtout un courant très fort dans la Marina nous fait accrocher un voilier lors de la manœuvre d’accostage au ponton…Fab fera jouer son assurance ; le skipper d’en face est très fair-play et Carriacou n’a aucun dommage. Deux autres bateaux entrant auront la même mésaventure…

 

En fin de journée, le vent souffle à 20 nœuds environ et le soleil est toujours là.

Waiting for Rick.

 

05.04.12

Rick est arrivé hier dans la soirée. Petit homme plutôt rond, jovial, au sourire attachant. Le contact passe et les échanges mail que nous avions eus avec lui annonçaient ce côté sympathique. Nous allons dîner tous les trois prés de la Marina, faire plus ample connaissance et nous couchons tôt, la journée ayant été éprouvante pour chacun d’entre nous.

 

Aujourd’hui, ce sont les courses pour le ravitaillement. Une navette de la Marina nous dépose en ville. Charleston centre a des airs de la Nlle-Orléans. Après un breakfast dans un café, c’est le supermarché où nous passons environ trois heures pour l’épicerie.

 

Nous reviendrons demain pour les fruits-légumes-viandes. Rick est très utile car il connaît tous les produits américains et nous conseille. Nous ramenons tout au bateau avec une autre navette et déjeunons à bord.

 

A quai à la Marina de Charleston

Fab range les provisions l’après-midi et Rick et moi avons « quartier libre ».   

Demain, je chercherai des cartes postales à envoyer.

Le soleil et la chaleur, malgré le vent, ont été présents toute la journée.

A priori, le départ est annoncé pour dimanche. Nous aurons la confirmation météo demain. En début de soirée, un thunderstorm s’annonce ; éclairs gigantesques, ciel qui s’obscurcit rapidement, violents coups de tonnerre, suivis de gifles de vent de 40 nœuds et de pluie… Le tout dure une heure environ et tout s’arrête sauf la pluie qui continue de tomber mollement.

Repas accompagné d’un redwine d’Australie offert par Rick.

La réserve d’eau est faite ; la trinquette est en place ; les appareils sont vérifiés ; les courses rangées ; la préparation avance…

 

06.04.12

L’orage a provoqué une chute de température impressionnante. De 25° environ hier, elle est passée à 10° ! Polaire et bonnet sont de rigueur pour retourner en ville acheter le reste des courses : légumes, fruits, viandes…

Au retour, déjeuner sur le bateau après l’envoi de mails aux enfants et proches.

L’après-midi, je retourne à pied jusqu’à la Poste centrale pour envoyer mes cartes postales. La partie ancienne de la ville est agréable : maisons à colonnades, bois, briques ; végétation très présente et variée (néfliers, jasmins, rosiers, érables, bananiers, palmiers chaemerops…) avec de délicieuses odeurs de printemps. Il doit faire bon vivre ici. La plupart des gens me saluent.  

 

De superbes maisons où on a envie d’entrer…

 

De retour à la Marina, plusieurs bateaux nouveaux sont à quai ; certainement à l’abri du coup de vent annoncé pour demain. Et le soleil revient peu à peu. Nous poursuivons les préparations de Carriacou pour être fin prêts dimanche ; beau temps confirmé pour ce jour, à la météo.  

 Demain samedi, Fab nous laissera de nouveau quartier libre. Ce sera le dernier jour à Charleston et déjà presque une semaine que l’aventure a commencé. Il faut en profiter au maximum. Des dauphins viennent régulièrement nous montrer leurs nageoires dorsales à quelques mètres du wharf. Bateaux de rêve, voitures monstrueuses de mécanique, immenses drapeaux américains et musique country un peu partout ; c’est l’Amérique aisée ici. Région riche dûe à la présence de bases aéronavales… Et on lézarde au soleil avec Rick une bonne partie de l’après-midi.

Ce soir, pleine lune et superbe feu d’artifice.

 

07.04.12

Grand soleil ce matin. Nous organisons une lessive commune dans la laundry de la Marina et partons prendre un copieux petit déjeuner au restaurant d’à côté, pendant que çà se lave et se sèche.

Avant-dernier point météo qui nous confirme le départ pour dimanche. Beau temps annoncé sur une semaine avec vent d’ouest de 10 à 20 nœuds ; çà doit nous permettre d’atteindre, au portant, les Bermudes que nous doublerons par le Nord.

 

6 hs de décalage horaire avec la France

 

Nouvel envoi de mails aux proches. Nous allons ensuite à pied en ville et déjeunons au « Bubba Gump », restaurant de fruits de mer réputé ici et que Fab nous fait découvrir.  

Puis lente promenade au marché couvert et retour à la Marina à travers les quartiers périphériques aux maisons plus que charmantes et aux jardins superbes.  

Le couple soleil-pluie fonctionne ici aussi à merveille. Et la température est nettement

remontée par rapport à hier. Dernières mises au point sur le bateau au soleil de l’après-midi.  

L’envoi de la grand-voile (le vent nous est favorable une heure environ) ; le plein d’eau ; la vérification des différents cordages…  

Une superbe lumière vers 17.00, semblable à celle des rivages de la Méditerranée. C’est décidément un chouette endroit.

Dîner au restaurant d’à côté et retour au bateau pour y passer notre dernière nuit de ce séjour sur le sol américain.

 

Au « Bubba Gump », à gauche Rick, Toto et Fab

 

08.04.12

Time to go… Nous quittons le quai avant 10.00 après un café à la Marina et un appel aux proches. La sortie de la baie s’effectue au moteur pendant quarante cinq minutes environ. Grand soleil, brise de terre de 5 nœuds. Autour de nous, des dauphins et une grosse tortue chasseuse de méduses.

Grand voile envoyée, nous mettons le cap à l’est, autour de 110°, au portant. Envoi du gênois après avoir passé les dernières bouées. Carriacou a déployé ses ailes…

Et le vent monte peu à peu.

La faible profondeur du plateau continental (7 mètres au sondeur pendant des lustres) alliée à 20 nœuds de vent avec des pointes à 27, provoque une mer hachée. Peu à peu, le vent tourne au nord et nous naviguons travers babord; le bateau file à 8 nœuds avec une gîte raisonnable.

En fin de journée, par prudence, les trois ris sont pris dans la grand voile et le gênois remplacé par la trinquette. Seul à ne pas avoir pris de médoc, je finis par nourrir les poissons… « The worst thing in the world », comme dit Rick. Je vais me reposer en attendant mon premier quart.

Le vent faiblit un peu dans la nuit. L’amure reste inchangée.

Un porte-container croisé l’après-midi ; deux autres bateaux dans la nuit. Le radar sonore (A.I.S) nous les signale bien avant que nous n’en voyions les premiers feux.

Courants immuables, vagues changeantes, cette masse d’eau commande tout. Les creux ne dépassent guère 1,50 mètre et les crêtes des vagues, comme d’innombrables doigts, semblent vouloir se hisser à bord avant de glisser sous la coque.

 

09.04.12

Conditions identiques, le vent étant un peu tombé ; travers bâbord 10 à 12 nœuds ; vitesse du bateau 5 nœuds sous trinquette. Mer beaucoup plus calme. On se repose.

Température de l’eau 26° ; de l’air 22° environ. Les ris de la grand voile sont enlevés. Le prés nous est imposé pour maintenir le cap à l’est, le vent ayant tourné à l’est et légèrement augmenté à 14 nœuds.

 

Que de bruits à bord ! Le clapotis de l’eau contre la coque, qui devient frottement en attendant la claque ; l’écrêtement des vagues ; les voiles qui claquent, lorsque le vent faiblit, et tirent brusquement sur les écoutes ; le vent dans les haubans lorsqu’il forcit et provoque une note répétitive et lanscinante ; chaque élément (drisses, pilote, dérive…) soumis à l’allure changeante, émet un son que l’oreille finit par localiser.

Sans parler des éléments intérieurs (placards, planchers, objets divers…) jusqu’à la coque elle-même qui a des tremblements en rapport au réglage des voiles. Feulements, beuglements, sifflements, rugissements, claquements… c’est la jungle !

 

Fab remonte au mât, non sans difficultés ; l’antenne VHF s’agitant comme la baguette

d’un chef d’orchestre éméché.

Le vent tombe ; nous finissons la journée au moteur, plein est. Le soleil va se coucher sur l’horizon ; peut-être verrai-je le « rayon vert » ?

 

Mer très calme, nuit superbement étoilée, identique aux nuits sahariennes. Pétillances lumineuses du plancton autour du bateau.

 

10.04.12

Quart de nuit très paisible. La lune s’est levée, elle est décroissante et sa luminosité a chassé la plupart des étoiles. Belle journée annoncée au lever du soleil puis, très vite, nous sommes suivis par un orage qui nous rattrape, heureusement de courte durée. Le vent remonte de 10 à 20 nœuds, travers tribord et les vagues se forment de nouveau.

Cap plein est à 6 nœuds de moyenne.  J’aime le bruit du tonnerre et ces éclairs gigantesques en mer, sous lesquels, bien sûr, il ne faut pas avoir la malchance de se trouver… Le vent faiblit l’après-midi et le routeur en liaison avec Fab, lui indique par téléphone, de faire cap vers le sud-est et de doubler les Bermudes par le sud ; orages prévus au sud, à éviter.

 

Toujours les bruits ; similitude avec la musique concrète. Les compositeurs y trouveraient assurément de l’inspiration ; welcome aboard Mr Boullez.

 

De ma couchette, avant de m’endormir, me proviennent de l’autre côté de la coque, un brouhaha de voix semblable à un restaurant ! Des gens parlent entre eux de sujets divers et je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils disent… En fait je ne veux pas comprendre car c’est mon imagination qui me joue des tours et c’est très bien comme çà. D’autres fois, au-dessus de ma couchette, je crois entendre un cheval déraper sur ses fers et tomber lourdement sur le pont… Les vagues et les résonnances…

 

11.04.12

A rough day ! Dés le matin on a senti que çà « marquait mal » entourés d’énormes nuages. Le vent est monté progressivement et la mer a commencé à se hacher. Eclairs et bruits de tonnerre terribles; nous « étions dedans ».

Fab nous a appelés au moment où la pluie a commencé à tomber avec 35 nœuds de vent. Puis des trombes d’eau et des rafales qui ont atteint 58 nœuds ! La pluie était forte au point de supprimer toute écume au sommet des vagues. Toutes voiles affalées, en fuite, nous sommes partis au surf dans des creux qui ont atteint les six mètres en une demi-heure ; çà n’était qu’un orage… La météo du 07 n’avait pas prévu çà… La pluie a cessé, le vent est tombé à 30 nœuds, les creux sont restés. Puis un second orage est arrivé sur nous, moins violent ; puis un troisième qui est passé proche. Carriacou s’est comporté à la hauteur de sa réputation et la dérive relevée dans le surf, un excellent atout pour « jouer » avec les vagues.

Les creux se sont apaisés en fin de journée, heureusement dans le sens de notre marche.

Un poisson volant est venu atterrir sur le pont et remis à l’eau de peur de glisser dessus pendant les manœuvres.  

Le calme est revenu…

La nuit qui a suivi a été sans étoiles, un épais manteau de nuages nous ayant enveloppés. Mer noire, ciel noir, impressionnant. Seules taches claires, l’écume contre l’étrave et le plancton. Température voisine de 10°.

 

12.04.12

Toujours quelques vagues au portant pour une journée plus ensoleillée et la mer s’est nettement calmée. Une sorte de moineau est venu se poser quelques minutes sur un des haubans. Tout petit oiseau venu de nulle part ; sans doute des Bermudes, terre la plus proche actuellement. L’après-midi, c’est un stern qui nous a accompagnés. Il se pose sur l’eau, attend d’être éloigné d’une centaine de mètres environ, reprend son vol, dépasse le bateau, se repose sur l’eau et ainsi de suite. Ni poésie, ni jeu dans son comportement sans doute, mais plutôt attente de quelque nourriture.  

 

Ma barbe de quinze jours me fait ressembler de plus en plus à une botte de paille !  Et les mouvements incessants du bateau me font écrire comme un chat ; çà bouge tout le temps et tout est fait en fonction de ce mouvement perpétuel, que l’on soit couché, assis, debout. Il nous fait rouler dans nos couchettes ; partir dans tous les sens au moment où on s’habille ou se déshabille ; sur un pied, on tente de s’accrocher à un élément, si possible fait pour cela, avec la main libérée en urgence ; il nous fait sauter en avant ou en arrière, quand on change de position assise dans le cockpit. Il faut donc vite faire attention car une perte d’équilibre peut entraîner au mieux un sérieux bobo, au pire un accident. Bien sûr, au dehors, nous nous attachons. Fab est strict là-dessus et il a raison. Ce travail constant de force physique est épuisant les premiers jours et accentue l’impression de nausée.  

Je ne suis amariné que depuis aujourd’hui…

 

13.04.12

Même type de temps. Vent de travers bâbord, modéré, comme l’allure. Préférable car une des barres de flèche présente un extrados qui inquiète le skipper. Il doit remonter au mât une troisième fois car, de nouveau, une des antennes s’agite comme une baguette folle. Rude épreuve pour lui avec les vagues que j’essaie de prendre le mieux possible par l’arrière.  

 

Le vent tourne à l’est et l’allure passe au prés mais la houle se maintient plusieurs heures travers bâbord, ce qui est d’un confort relatif. Nous n’avons pas affalé le tourmentin depuis le 11, de crainte de rencontrer un nouvel orage violent mais il n’ y a, pour l’instant, que de la pluie sous les nuages au-dessous desquels nous passons. Le vent peut varier en quelques secondes, de 10 à 25 nœuds en bourrasques ; deux ris sont maintenus dans la grand voile et le gênois envoyé aux trois-quarts. Les attaches de la trinquette sont usées et nous ne savons pas si nous pourrons l’utiliser longtemps...

Nous commençons enfin à avoir de l’appétit et le plat de pâtes est un délice.

 

A déjeuner et au dîner.

 

14.04.12

La pomme du matin : un régal. Petite, rouge, sucrée, je ne jette que la queue. Je fais çà depuis que je suis tout petit. J’aime tout de la pomme ; la peau, les pépins, la chair bien sûr et même le petit « cul » qui, bien lavé, a un goût d’herbe tendre.

 

Maintenant que l’appétit est revenu, nous allons pouvoir suivre les menus définis au départ. Créer un rythme à bord me semble essentiel ; la navigation étant l’occupation principale mais le but à atteindre droit devant, nous avons le temps de rêver, dormir, cuisiner, manger, lire, écrire pour ma part, tout en jetant un « œil circulaire », notamment lors des quarts, toutes les quinze minutes, signalées par la sonnerie d’un minuteur. Et comme on s’entend bien tous les trois, ce rythme à la fois souple et présent, fonctionne.

 

C’est, depuis notre départ, la plus belle journée. Temps calme, plein soleil et apparition de « vaisseaux portugais », petites méduses possédant une crête qui, comme une voile, leur sert à se diriger et, paraît-il, à remonter au vent… Nature étonnante.

 

 
Et puis c’est un peu la tuile ! Une dépression est annoncée devant nous pour les deux jours à venir. La prudence, alliée au problème de barre de flèche, fait décider Fab à faire escale aux Bermudes. Nous perdrons deux jours pour l’instant.

Le vent tombe complètement et nous partons au sud-est au moteur.

 

15.04.12

Huitième jour de transat. Mer quasiment plate, vent de sud 4 nœuds, pas un nuage, toujours au moteur. Nous pensons atteindre les Bermudes demain. Les nombreux récifs indiqués sur l’écran, ainsi que les courants provoqués par les marées, nous inciteront à la prudence. La journée s’annonce tranquille. Cette allure, avec un léger sud monté à 8 nœuds sur tribord, maintient le bateau dans une position confortable ; çà repose…

L’après-midi, un groupe de dauphins vient jouer à la proue de Carriacou pendant un bon quart d’heure, à notre grande joie.

 

Les dauphins joueurs  

  

Rick plongé dans ses pensées 

et Fab dans sa lecture

 

16.04.12

Je suis né il y a soixante et un ans aujourd’hui, au bord de l’océan et ai encore en mémoire le bruit des énormes vagues d’écume blanche de l’atlantique déferlant sur les plages du Sénégal. Il s’en dégage comme une brume au-dessus de leurs crêtes et l’odeur mêlée d’iode et de poisson est toujours dans mes narines.

Cinq ans plus tard, c’est la Bretagne et ses paysages côtiers changeant au gré des marées, qui me font rêver. Puis la Méditerranée pour un séjour à Toulon et l’inoubliable côte d’azur des années

60 (St-Raphaël, Sanary…).

Enfin une adolescence « dorée » en Nouvelle-Calédonie entouré d’un des plus beaux lagons du monde.

J’ai toujours respecté la mer ; je l’ai crainte dans ses colères et appréciée dans ses moments paisibles. Ma Mère, naufragée à l’âge de dix ans, en 1931, du « George Philipar » de retour de Saïgon, coulé au large d’Aden, a toujours eu peur de la mer et c’est compréhensible. Mon Père nous a appris à l’aimer.

 

Mes premiers contacts avec la navigation à voile remontent à l’âge de treize ans, lors d’une croisière en côtre, au sud de la Nouvelle-Calédonie. Manier un bateau, de plus à la voile, aidé ou contrarié par le vent, est, je pense, un accomplissement de soi-même. Sympa les Bermudes.  D’abord des baleines dans la matinée, qui « sautent de joie à notre vue » et une eau d’un bleu extraordinaire à l’approche du port, par 15 mètres de fond. Je n’ai jamais vu un tel bleu marin approchant de si prés le turquoise. Des petites maisons proprettes aux multiples couleurs et aux toitures en béton chaulé et un accueil sympathique.

 

Bémol, et de taille ! Rick, compagnon agréable et plein d’humour nous dit qu’il nous abandonne… Cette semaine a été trop éprouvante pour lui et sa déprime semble profonde.

 

Pensant d’abord à une blague de sa part, nous essayons, en vain, de le convaincre. Rien n’y fait. Il reprend l’avion dans la demi-heure qui suit notre arrivée… Désappointés, nous communiquons la nouvelle en France ; Joëlle et Anne apprennent la nouvelle avec une grosse inquiétude.

 

Après déjeuner, nous nous lançons dans les réparations prévues. Je reçois un mail très gentil de ma sœur Rosine pour mon anniv.

Temps gris et frais ; pluie fine ; petites rafales ; équipage réduit.

 

17.04.12

Super temps. Bonne ambiance à quai avec les voisins Suédois, Anglais, Argentins.

Après une bonne nuit, nous nous activons à la préparation du bateau.  

Départ programmé pour demain matin.

 

A quai aux Bermudes

Je « goûte » l’eau du port car je récupère le tournevis du Beau-Père de Fab que j’ai laissé tomber hier soir par inadvertance. Trois mètres de fond, çà va. L’eau est très

claire, un peu fraîche et çà fait du bien.  

Cà fait rire les blacks et les rastas qui me regardent du quai et du coup, on blague.

 

Il faut savoir tout faire à bord en plus de barrer et de gérer les voiles ; électricité, électronique, mécanique, cuisine, ti-punch, anglais obligatoire (tous les réseaux sont en anglais), tout anticiper, tout réparer… Bravo à Fab.

 

Moments agréables dans la capitainerie avec « Mammie » Sandra, très accueillante.

Temps magnifique dehors, grand soleil, palmiers, filaos, pins colonnaires, çà donne envie de revenir, sauf que tout coûte « un bras ».

 

18.04.12

Petit déjeuner. Au revoir aux Argentins et Anglais ; les Suédois sont partis hier en fin d’après-midi vers les Açores. On fait le complément de fuel et d’eau et on repasse aux douanes où Fab est obligé de préciser que nous ne sommes plus que deux…

Et nous prenons l’étroit chenal balisé qui conduit au large sous un vol d’une sorte de perruches blanches dont la queue ne semble être qu’une longue plume unique.

Nous prenons peu à peu le large au prés, bâbord amure, deux ris dans la grand voile, gênois envoyé aux trois-quarts, 20 nœuds de vent, creux d’ 1,50 mètre un peu hachés ; cap à l’est. Reprise sportive mais on avance à presque 6 nœuds ; contents.

Corto Maltese et son équipage, à bord de leur brick deux-mâts, sorti en même temps que nous, partent plein sud. Un dernier regard sur les Bermudes et ses drôles de bouées de balisage qui ressemblent vraiment à des personnages de Jean-Paul Goude.

 

Fab a remis un patch anti mal de mer. Pour ma part, çà va, je reste amariné.

Nous menons une bonne allure toute la journée et conservons pour la nuit les veilles de trois heures.

Les myriades d’étoiles nous accompagnent.

 

19.04.12

Beau temps ensoleillé. Les vagues sont nettement moins fortes et le vent diminue autour de 10 nœuds. De plus, il tourne au nord est. Un virement de bord nous amène trop au nord. Nous revirons pour suivre un cap sud-est travers bâbord amure, en envoyant toute la surface de gênois et de grand voile. Meilleur cap à l’est l’après-midi à 4 nœuds. Nous avons un contact radio avec « Ykapé » ; les Argentins ne sont pas très loin de nous, 11 milles environ, en route également vers les Açores.  

Un trois mâts sous trinquette et moteur nous double à une vitesse raisonnable ; dommage qu’avec ce temps là, il ne soit pas plus toilé… Sa silhouette « 19° siècle » nous fait parler, avec Fab, de cette époque héroïque de la marine à voile. En 1960, à Toulon, un de nos voisins, déjà âgé, avait été Cap-Hornier dés l’âge de 14 ans…

Respect.

 

 

20.04.12

Allure de croisière. A présent tribord amure, nous grignotons la distance. Grand beau temps, mer très belle.

Autre similitude avec le désert, je ne transpire pas plus que çà à bord et il est tellement commode de ne pas se changer ( !) surtout la nuit, lors des changements de quarts de trois heures, que je conserve le même sous-vêtement pendant une semaine ( !) pareil pour les chaussettes ( !) si, si. Vaisselle et toilette se font à l’eau de mer, sans souci.

Nous parlons souvent de Rick avec Fab ; peut-être s’est-il senti perdu dans cet espace cosmique ?

 

Le cockpit à l’ombre du bimini...

 

... et le carré

Carriacou, toutes voiles dehors

 

21.04.12

Le vent est tombé ce matin, aux premières lueurs de l’aube.

 

Le soleil pointe le haut de son « crâne » à l’horizon, sur une mer d’huile…

 

Jupiter est proche de la terre depuis quelques mois et sa brillance est beaucoup plus importante que les plus grosses étoiles. Mais lorsque le soleil annonce sa venue sur l’océan, c’est impressionnant de puissance et de présence. On perçoit une luminosité d’abord à peine perceptible puis diffuse ; les étoiles s’effacent les unes après les autres, tout doucement ; le jour se lève.

Je n’ai jamais eu la sensation, comme ici, de pouvoir toucher le soleil.

Un verre d’eau, un fruit (dans l’ordre hebdomadaire de conservation : banane, pomme, orange, pamplemousse), yaourt, céréales, tartine de confiture ou de peanut’s butter, un jus de fruit et la journée commence. Par temps calme comme aujourd’hui, c’est la toilette à l’eau de mer (24°) avec le seau et la peau douce est dûe à l’humidité.

Six nœuds de vent, tribord arrière ; très légère houle sur tribord ; gênois enroulé, grand voile envoyée ; moteur obligé…

Cap 33° nord-est. Nous devrions retrouver du vent en fin de journée.

Je casse mes lunettes de vue, merde ! Et Fab me les rafistole avec ses yeux de jeune homme…

 

 

Et il prend un petit bain…

Il nous faut éviter l’anticyclône annoncé.

24° en plein océan, y a pire…

 

22.04.12

Hélas, toujours pas le vent attendu et toujours au moteur ; mer calme encore et encore ; bleue outre-mer la journée ; gris plomb au crépuscule ; « noirte » la nuit ; étincellante le matin comme au lever du soleil hier, où nous avions l’impression de naviguer sur du mercure.

Nous croisons un minéralier dont la silhouette me rappelle le « Horyu Maru », bateau Japonais affrêté au transport du nickel, que j’avais pris en mars 1970, de Nouméa à Miyazu, port situé en mer de Chine. Douze jours de mer sur le Pacifique, à travers les innombrables îles Philippines. Et les bains d’eau de mer chauffée, dans des baignoires carrées de 2.00 mètres de côté ; le savoir vivre Japonais « ofuro subarashi ».

 

Les premiers stocks de fruits et légumes sont terminés : pommes, bananes, salades, tomates. Leur succèdent concombres, choux, pamplemousses, oranges, mandarines, melons. Il nous reste, avec les conserves et les fromages en pâte, largement de quoi…

Elections présidentielles, 1° tour, en France ; j’espère que Loulou est bien allé voter pour nous deux. Et c’est l’anniversaire de Joëlle, la femme de Fab, qu’il appelle.

Des dauphins jouent autour du bateau au coucher du soleil. Un grand cil d’or apparaît à l’occident, un peu au-dessus de l’horizon, puis va s’y cacher au bout d’une heure environ ; premier signe de la lune croissante. Elle va nous tenir compagnie à partir de maintenant et ce sera avec grand plaisir.

 

23.04.12

Le vent, faible, est arrivé dans la nuit et nous a permis d’arrêter le moteur.

Tribord amure ; 10 nœuds de vent ; vitesse 3,5 nœuds ; cap 44° ; de nouveau des dauphins et à une centaine de mètres derrière nous, de l’écume provoquée par un cétacé, certainement, mais que nous n’arrivons pas à distinguer.

Appels lancés aux Argentins et aux Suédois depuis quelques jours, toujours sans réponse. C’est vrai que la VHF ne porte pas très loin.

Plein soleil et nous arrivons « au milieu » petit à petit.  

Le vent chute totalement en milieu de journée.  Une baleine vient se donner en spectacle à moins de 100 mètres du bateau. Force tranquille. Elle se montre quelques minutes et plonge dans un majestueux mouvement de queue.

Et le vent revient en début d’après-midi. Ouf !

 

24.04.12

Bon, il est revenu présent le vent ! Jusqu’à 25 nœuds toute la nuit, avec une mer formée et nerveuse. On n’a pas beaucoup dormi ; tellement secoués. J’ai rêvé que j’étais dans un shaker ! Sympa ! Sans doute un abus de cookies au chocolat hier soir…

Ce matin, tout çà a un peu rechuté et çà tombe bien car Fab est un peu nauséeux et embêté car il ne parvient pas à avoir la météo. Une vingtaine de dauphins viennent sauter autour du bateau pendant un bon quart d’heure. Je ne m’en lasse pas.

Soleil ; mer belle ; tribord amure ; 14 nœuds de vent d’est ; 4 nœuds au speedo. Cette allure au prés nous fait avancer mais est fatigante ; le bateau « tape » et il est difficile de dormir (et d’écrire !). Pour faire le meilleur cap, nous gardons trinquette et grand voile.

Et tant pis si nous n’allons pas plus vite ; priorité au cap « Azores »…

Un gros cargo nous passe par bâbord, pas très loin. De nuit, on se serait inquiétés quant à un éventuel croisement de route. On dirait une machine de guerre. Il est très haut sur l’eau ; cales vides sûrement.  

 

 

 

25.04.12

Nous sommes entrés dans l’anticyclône des Açores. Celui dont parlent les speakrines de la météo, pour expliquer le beau temps sur la France, l’été notamment. On s’attend à un temps calme, avec mer belle, soleil, musique hawaïenne…

Que dalle ! Temps couvert, humidasse jusqu’au fond de la couchette, mer dans tous les sens et donc fatigue pour se mouvoir et régler convenablement l’allure, au prés, du bateau, qui tangue et gîte à la fois… Envie d’aller se coucher.

Dans la nuit, nous avons été doublés par un cargo ; croisé un bateau de pêche Espagnol, pêchant le requin bleu avec un filet de… 50 milles ( !) de long ; la distance Montpellier Avignon ; et nous sommes rapprochés d’Ypaké, le bateau des Argentins (ce sont eux qui nous précisent, à la VHF, l’histoire du filet).

 

26.04.12

Toujours les mêmes conditions désagréables de vent dans le pif. Il s’est un peu renforcé à 20 nœuds. Formation de quelques grosses vagues dont la crête d’écume atterrit dans le cockpit. Je m’ai lavé les cheveux pour rien ! De nouveau pleins de sel ! De nouveau aussi les dauphins qui se précipitent à l’avant du bateau et sautent dans tous les sens.

La préparation du petit déjeuner et les bruits des diverses manipulations me font penser à l’avion lorsque la charmante hôtesse vous sert à manger et à boire. Je m’imagine à sa place, pieds-nus, en paréo, sweet-shirt douteux, barbe et cheveux hirsutes… Il faudrait vraiment que les passagers aient beaucoup d’humour ou qu’ils n’aient ni mangé ni bu depuis quinze jours, pour apprécier…

Prise de deux ris dans la grand voile et vitesse identique du bateau, tout en étant un peu moins secoués.

 

27.04.12

Aujourd’hui, le soleil est revenu et çà fait du bien. Le vent a faibli et passé travers tribord. L’allure est plus confortable. On attend un peu de sud pour naviguer au portant (allure confort). Faire la vaisselle au prés avec le pied gauche pompant sur la pédale d’eau de mer, le pied droit calé/cramponné dans un recoin au sol, la main gauche pour se maintenir, il ne reste que la main droite pour tenir un bol, le laver, le rincer… De retour en France, je téléphone à Bouglione pour lui présenter le numéro.

« Capitaine Flab » et moi avons appris à nous connaître. Il connaît bien son Carriacou (l’encourage souvent comme on fait avec un cheval en lui tapant sur la croupe !) et c’est un bon skipper. Il pêche un peu par excés d’inquiétude mais il vaut mieux çà que l’inverse.

Nous parlons régulièrement de l’abandon de Rick et essayons d’en trouver les raisons ; après tout, on ne sait pas comment il se serait comporté si nous n’avions pas dû faire escale aux Bermudes… Et nous nous trouvons des points communs sur notre cher ( !) Président sortant, ce qui nous lie un peu plus…

Les fins d’après-midi comme aujourd’hui (mer tranquille, soleil) nous font passer un moment agréable qui commence par l’apéro (bière légère, peanuts, crackers au pâté de poissons) et se termine par le dîner avant que je ne prenne le premier quart de nuit, de 20.00 à 24.00 ; puis on se relaie toutes les trois heures jusqu’à 9.00. On passe ensemble le reste du temps (réglages, infos, cuisine, lecture…).

Travers tribord toujours ; 13 nœuds de vent ; 5 au speedo ; grand-voile, gênois doublé trinquette.

 

Agréable apéro lorsque la météo nous y invite

 

28.04.12

Bonne navigation cette nuit. Le vent est passé un peu au sud, entre 15 et 20 nœuds et de grosses vagues sympathiques nous ont fait atteindre 6 nœuds de moyenne au speedo. En fin de nuit, nous avons bifurqué de 10° vers le nord pour atteindre un courant porteur, au sud du gulf stream, sur une info d’Ypaké.

Le ciel est pommelé. Bord identique, le vent est monté à 20 nœuds ; sous grand-voile et trinquette, nous voguons à 6 nœuds.

Nous avions rendez-vous avec Ypaké ce matin, pour une livraison de pain (ils font leur pain à bord) mais ils ont pris de l’avance nos amis Argentins. Leur bateau est plus grand et plus rapide.  

L’informatique de bord nous définit la route à suivre, la distance parcourue et restant à parcourir, la météo à 5 jours, la position, les coordonnées et les destinations des bateaux que nous croisons, et la VHF nous permet de contacter les uns et les autres.

La mer est de nouveau un peu hachée et le vent mollit à 15 nœuds en milieu de journée. Les vagues cherchent leur direction et c’est fatigant (pour elles aussi, sûrement !).

Divers objets traînent à la surface de l’eau. J’ai vu passer tout à l’heure comme un gyrophare bleu d’ambulance ; j’ai regardé dessous, je n’ai pas vu l’ambulance.

 

 

29.04.12

Cap 80, 85. Le vent est un peu tombé sur le matin. Le gênois a retrouvé sa place. Très beau temps. Bord toujours identique et 6 nœuds au speedo grâce à de grosses vagues presque aplaties qui nous poussent. Presque allure de croisière s’il n’y avait ce petit roulis toujours présent. On devient exigeants à force ! 

Une grosse tortue est venue nous saluer tout en reprenant son souffle. Animal paisible et combien utile, trop souvent chassée et étouffée par les sacs en plastique flottant qu’elle prend pour de délicieuses méduses…

A quelques jours de notre arrivée aux Açores, nous pensons aux bons plats que nous allons retrouver et qui nous manquent. La nourriture de bord est correcte et équilibrée mais une petite cannette braisée aux pommes sautées, accompagnée d’un bon verre de vin, remplacera sans regret les salades quotidiennes et l’eau plate ou la boisson sucrée made in U.S.A.  

 

Après-midi tranquille.

Dans la soirée, des geysers de baleines nous suivent quelques instants, à 300 mètres environ.

 

30.04.12

Tout va bien en ce dernier jour d’avril, sauf qu’une dépression est annoncée sur les Açores pour le 07 mai. A l’allure à laquelle nous marchons aujourd’hui (13 nœuds de vent, 5 nœuds au speedo, un ris dans la grand voile, génois envoyé et trinquette maintenue) nous devrions y être le 06. Sauf que les 04 et 05, la météo annonce un vent faible…

Nous décidons de gérer au mieux cette approche. Rapport cap/vitesse. Faire du cap ne veut pas forcément dire aller vite et vice et versa. De plus, il y a de nouveau ces vagues dans tous les sens et peut-être un courant contraire… Manque plus que la pieuvre géante du capitaine Némo… On décide de privilégier la vitesse et on envoie toute la toile. Au prés.  

Puis, comme chaque après-midi, chacun occupe sa banquette dans le cockpit et c’est la séquence lecture. Avec le soleil et le bruit du vent et des vagues, c’est quand même génial.

On voit tous les types de nuages en mer : les méchants, les gentils, les ceux qui s’en foutent et les rigolos. Dans ces derniers, apparaissent des figures et des formes changeantes, propres à des scénarii fantastiques. Les ceux qui s’en foutent font leur boulot de nuages, sans poésie ; ils vont et viennent. Les gentils sont ceux qui sont peu nombreux ou suffisamment éloignés. Et les méchants, ceux qui s’approchent en noircissant leurs visages sous l’aspect faussement cool de gros cumulus ouateux. Et ils sont rapides ! Rafales soudaines et violentes, pluie parfois… Meffi.

 

 

 

 

 01.05.12

Eh ben voilà, on y a eu de nouveau droit aux méchants nuages. En pleine nuit, pendant mon quart, le vent est passé de 15 à 25 nœuds en quelques minutes. Il a fallu enrouler le gênois et prendre deux ris dans la grand voile, par précaution. Trinquette en place. Ceci étant, l’allure a pu être maintenue à 5 nœuds, ce qui nous a satisfait. C’est monté à 27 nœuds pendant une heure environ avant de s’établir à 20.

Toujours au prés, ce matin. Mer belle à peu agitée (comme dit la météo marine).

Vagues sur travers tribord.

A la mi-journée, il nous restera 500 milles à parcourir.

Une pensée pour les brins de muguet que je n’aurai pas le plaisir d’offrir aujourd’hui. Cet après-midi, pendant ma sieste, Fab a eu « …la peur de ma vie… ». A l’arrière du bateau, l’apparition d’une énorme tache sombre en surface, de ce qu’il croit être tout d’abord du fuel et qui s’avère être du sang… Puis une masse grosse comme le tiers de Carriacou qui fait surface pour immédiatement replonger, dans un mouvement de queue qui inonde le cockpit… Peur d’avoir heurté un orque qui, blessé, peut revenir à la charge… Mais il n’y a eu aucun choc (çà m’aurait réveillé toudméééme !). 

On suppose qu’il y a eu, non pas blessure contre le bateau, mais baston à quelques mètres en dessous , entre deux molosses à belles quenottes… 

Le vent se renforce et la mer passe de peu agitée à agitée, puis forte.

 

02.05.12

La nuit a été un peu sportive. Mer forte, vent jusqu’à 30 nœuds, orages, et çà s’est poursuivi toute la journée, toujours au prés. Conditions de gestes quotidiens à la limite du raisonnable. Surtout ne pas s’énerver, surtout prendre son temps, surtout ne pas se faire mal. 

La preuve, c’est que, dans l’après-midi, çà s’est calmé et qu’on a pu empanner comme prévu, pour être au portant, cap 85, droit sur les Açores. L’allure est des plus confortables, le bateau stable, poussé par de grosses vagues. Il doit de nouveau y avoir un courant porteur car le GPS indique 1,5 nœud de plus que le speedo, et c’est tant mieux. 

Ce soir, apéro dînatoire ; on a la flemme de préparer à manger. Les Pitas Bites canadiens, sorte de crackers, sont très bons. Cacahuètes, bière, perspective d’arriver bientôt et que des nuages qui s’en foutent autour de nous.

 

03.05.12

Nuit de nouveau un peu sportive ; comme si l’océan se disait : « merde, ils arrivent bientôt et on n’a pas beaucoup joué… ». Coups de vent subis, orages et creux de 4,00 mètres sur travers bâbord et sur l’arrière confondus, nous font  danser  jusqu’à l’aube. Nous avons repris deux ris dans la grand voile et allons à la même vitesse qu’avec toute la toile. Gênois enroulé, la trinquette remplit parfaitement son rôle. Le temps est couvert et pour la première fois depuis le départ, une sensation de rafraîchissement de la température.   

Toujours ces creux à double sens ; comme si nous étions sur des collines liquides, quelques secondes au sommet, avant de glisser vers les plaines.   

Nous croisons de nouveau des navires et cette nuit, pour couronner le tout, l’un d’entre eux a failli croiser notre route et a changé de cap à 3 milles… Ouf ! On dit que sur certains navires, il n’ y a personne sur la passerelle, la nuit. Sympa !   

Petit crachin breton l’après-midi.  Nous nous renseignons sur les disponibilités de places à Horta, par l’intermédiaire d’une amie Portuguaise de Fab. C’est normalement pour dimanche et on a vraiment hâte d’y être.

Nouvel empannage pour être bâbord amure en fonction du portant.

 

04.05.12

Tout était prêt pour affronter une troisième nuit sportive et nous suivions la même direction qu’un très gros nuage de pluie qui semblait vouloir nous prendre en tenaille… Et puis rien. 

Une nuit calme, de quasi pleine lune ; le vent est tombé mais pas les vagues. Le moteur est devenu indispensable pour maintenir l’allure, toutes voiles affalées. Présence d’un bateau qui, lui, a suivi son cap, parallèle au nôtre. 

Ce matin, les mêmes vagues qui nous remuent dans tous les sens et le bonjour d’une équipe de dauphins, sifflant en allant travailler. 

En revanche, li Cap’tain Barbe noire pas content à cause des vagues et de la panne du pilote automatique, et qui répond à mon clin d’œil de bonjour par un « fait chier » boudeur. 

Toujours au moteur, nous renvoyons la grand voile, prés bâbord amure, un peu d’air semblant revenir. 

Etant dans une zone de grains, les deux ris sont maintenus dans la grand voile par précaution.

Puis grand voile de nouveau affalée ; pétole !  

Sans pilote, au moteur, le régulateur d’allure n’étant efficace qu’avec le vent, nous reprenons la barre à tour de rôle. La mer est d’huile, le vent réel nul et la journée passe ainsi, ensoleillée. 

Sans moteur, ce serait le binz. A 4 nœuds d’allure, l’arrivée à Horta est maintenue pour dimanche matin. 

Un embouteillage de vaisseaux Portuguais, sans moteurs eux : le binz.  

Ils râlent en nous voyant passer.

 

05.05.12

« La cerise sur le gâteau » ou « le meilleur pour la fin »… En deuxième partie de nuit, nous rencontrons un fort courant contraire qui ralentit Carriacou à 1,5 nœud ! 

Impressionnant. De petites vagues courtes et surpuissantes. Obligés de changer de cap. Nous optons pour le nord. La météo annonce un vent d’est de 15 à 20 nœuds.  

Tribord amure ; deux ris toujours et la trinquette.

A l’aube, le vent forcit et forme la mer. Il atteint vite les 30 nœuds et elles ont vite 2 mètres de creux. Le temps est couvert et il commence à pleuvoir. 

Une rafale fait se dérouler le gênois, mal arrimé… Le tourmentin est envoyé à la place de la trinquette et Fab prend le troisième ris dans la grand voile, des pointes de vent à 38 nœuds s’affichant au compteur. 

En fin de matinée, il fait grain sur grain, la visibilité est réduite, l’anénomètre a indiqué des pointes à 52 nœuds, 40 nœuds de moyenne, avec des creux de 8 mètres et trois déferlantes sur les centaines qui nous arrivent dessus, ont trempé le cockpit et ses occupants… Quand est-ce que çà va s’arrêter, siouplaît ? 

Fab décide un empannage, périlleux mais efficace, qui nous renvoie vers le sud. Bâbord amure s’avère, de plus, moins difficile. 

Nous n’avons dormi qu’une heure chacun depuis notre dernier quart et les conditions nous ont épuisés. Je garde la barre pour franchir ces masses d’eau dont les sommets écumeux n’ont qu’une envie : entrer dans le cockpit après s’y être hissés. 

Fab est allé se reposer et à son réveil, le vent est retombé, un timide soleil réapparu, mais des creux de 6 mètres, bien qu’un peu amollis, sont toujours là, par trains entiers. Le coup de vent est fini ; il aura duré douze heures au total dont quatre heures au plus fort.

Nous avons fait un bord carré et sommes donc revenus au point de départ de changement de cap. L’arrivée à Horta est repoussée d’autant. 

Rien de cassé sur le bateau, c’est l’essentiel et notre entente a fait le reste. Force 8/9 estimée. 

Puis le vent tourne au portant et un magnifique gros dauphin vient nous saluer. Nous nous aidons du moteur pour reprendre la bonne direction. Grosse fatigue.

Me restent en mémoire les images de cet environnement démonté et les bruits ou plutôt les cris des vagues et du vent. Celui-ci rugissant ses ordres ; celles-là obéissant, en vociférant les hurlements de leur puissance. L’océan a fini par jouer avec nous.

 

06.05.12

La nuit se passe bien. Speedo 5 à 6 nœuds au portant sous grand voile envoyée et tourmentin. Pendant le quart de Fab, des rafales à 25 nœuds sont revenues mais heureusement de courte durée.

La mer se « déforme » peu à peu tout en restant active et nous pousse. 

C’est la pleine lune ; magnifique. La clarté l’est aussi. Des silhouettes furtives d’oiseaux de mer passent prés du bateau. Ils sont loin des premières côtes ; où nichent-ils ? De quoi se nourrissent-ils, à voler ainsi au ras des vagues ? Lisent-ils Télérama ? 

Au lever du soleil, on croise un énorme porte-containers qui fait route vers l’ouest.

Le vent est passé sur travers tribord, entre 12 et 18 nœuds et nous avançons à 6 nœuds. Nous pensons arriver à Horta en fin d ‘aprés-midi. Il est 14.30 en France ; le vote du second tour des élections doit battre son plein. Toujours les dauphins joueurs. Nous avons un peu mangé et surtout dormi comme des bébés. 14.00 heures UTC, 16.00 heures en France, Horta apparaît droit devant, dans la brume. Gros relief.

 

Horta droit devant Notre Transat Charleston/Horta touche à sa fin.

Nous sommes dans une zone farcie de bateaux : cargos, pêcheurs, paquebots, voiliers…

Un nouveau grain arrive, chargé de pluie, avec un vent portant d’une vingtaine de nœuds. Des dauphins partout. La visibilité s’améliore à l’approche de la digue de protection du port. 

Nous y sommes. Carriacou est amarré prés des pompes de gas-oil dans la perspective d’un plein, et la capitainerie nous accueille fort efficacement. 

Nous prévenons, en France, de notre arrivée, rangeons un peu le bateau et allons manger, en tanguant pour ma part, comme si j’étais bourré, au Peter Bar, repaire de tous les navigateurs. On fête notre nouveau Président, l’ambiance est géniale, un équipage Allemand nous offre l’apéro, la viande rouge est délicieuse et on se régale de bière et de vin. Un duo Chanteuse/guitare sèche anime la fin de soirée. Compréhensible que les Pirates se régalaient lors de leurs escales… 

Finis les quarts et les mouvements incessants. La douche est excellentissime et ma barbe épouvantaillissime.

 

Vingt sept jours de mer ; 2746 milles parcourus.

 

07.05.12

Beau temps ce matin sur Horta. Petit déjeuner au snack d’à côté puis courses entre l’enregistrement (passeports, place pour le bateau pendant les deux mois à venir), recherche de réparateur d’électronique, mécanique, réservation pour mon retour arrêté au 09.05 (Horta-Lisbonne-Paris Orly) et début de rangement du bateau. 

Nous avons sympathisé avec les Allemands, et les équipages qui se succèdent prés de nous dans la journée sont très majoritairement liants. Quelques-uns ont subi la force 8 de samedi et en conservent un souvenir « bouillant ». 

Un Bavaria 36 a démâté et le Gamma 100 « Côtes de nuits », eu des gros soucis de safran… 

En fin d’après-midi, les Suédois des Bermudes arrivent et, étant passés par le sud, n’ont, eux, eu aucune difficulté. Nous nous retrouvons au « Medalhas », restaurant à l’excellente Bacalhau, à quelques équipages. 

La marina de Horta accueille chaque année plus de mille plaisanciers, majoritaire-ment des Français ; viennent ensuite Anglais, Américains, Allemands… quarante et une nationalités répertoriées.  

 

Des centaines de graphiques laissés par les équipages, sur les quais de Horta

 

08.05.12

Fab a fait un cauchemar cette nuit. Seul sur le bateau avec tous les emmerdements possibles… Je lui avais dit, hier soir, de ne pas manger autant de pain et de viande ! 

Le nettoyage de Carriacou s’achève. Nous le changerons de place dans la journée. Fab reviendra ici en famille en juillet puis le ramènera à La Rochelle, son port d’attache. Transat achevée. Pleine de grosses émotions et de grands plaisirs. A la hauteur de mes espérances. Avec un jeune Capitaine connaissant bien son affaire. Il fait partie désormais de ces rares personnes rencontrées dans ma vie avec lesquelles les épreuves deviennent des challenges que l’on gagne sur les éléments.   

Débriefing. Nous prenons du temps pour nous parler ; nous dire ce qui a fonctionné et qui aurait pu encore mieux fonctionner. Pour ma part, un complément de formation style Glénans sera le bienvenu dans la perspective de naviguer en haute mer.  Et satisfaits de notre résultat à deux… ce qui n’était pas souhaitable il y a cinq semaines.   

 

Il reste maintenant à Carriacou à rejoindre La Rochelle

 

Excellent OVNI 345 avec, dans l’équipe du matos, le régulateur d’allure, pour moi « l’homme du match », relié à la barre franche et qui, même par temps grognon, nous a permis de nous reposer. Ce couple me fait penser au couple D2R2/Sispéo, de « La guerre des étoiles », y compris les couinements de l’un et de l’autre qui, par moments, semblaient vraiment les faire dialoguer.  

Horta est couverte de nuages et un vent d’ouest souffle à 25 nœuds. Il pleut.

Je prends l’avion tout à l’heure. Time to be back home.

Michel T.


Date de création : 17/05/2015 20:16
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